MATIN MARTIN MARTIEN... soit vingt ans !

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J’ai rencontré Martin dans le courant de l’année 2010. À la bonne heure, s’il en est, puisqu’elle sonne l’entrée de la Casina dans sa vingtième année d’exercices scéniques et d’expérimentations théâtrales. Le praticien ès surréalisme et la fille-qui-passait-là se sont donnés rendez-vous un dimanche paisible, histoire de dire. Soumis à l’interrogation, Maître Kimmel s’est expliqué. Obligeamment, au cours de la transcription, les questions se sont effacées devant ses réponses. Ce qui donne « Souvenirs et perspectives de celui qui tous les ans fête les dix ans de la Casina». Propos arrachés, modelés, architecturés par la fille qui passait là.

 

AU MATIN DE LA CASINA

Le théâtre c’est une passion donc je n’ai pas eu envie d’en faire un métier. Et puis, mon métier me passionne… Non, à la base, j’ai fait du théâtre pour maîtriser ma timidité. De 76 à 90 j’ai joué avec des troupes professionnelles et amateurs. J’ai suivi des cours avec Patrick Ponce du Cartoun Sardines Théâtre, avec Maurice Vinçon du Mini Théâtre, ou Étienne Catalan metteur en scène au théâtre Corail. J’ai participé à des festivals en Hongrie, à Vichy.

 

J’ai joué pendant quinze ans  et une fois que j’ai senti que ça allait mieux, j’ai eu envie de diriger des comédiens, de partager autre chose. Pour ma première mise en scène je me suis attelé à une pièce que j’avais écrite : Les attirances parallèles. Ensuite j’ai adapté un roman qui se passait à Pompéï, alors je me suis rendu sur place et je suis tombé sur cet indice : la Casina. C’est le titre d’une pièce de Plaute, auteur latin, qui signifie la fille du hasard. Elle s’est jouée à Pompeï, entre autres, le jour de l’éruption du Vésuve. Le casus c’est le hasard. J’ai gardé le nom !

 

J’ai toujours cherché des personnes, des hommes, des femmes en fonction de la pièce que je montais. Au moment où j’ai créé la Casina, en 1990, j’ai recruté mes comédiens par annonces, par relations. Et puis, petit à petit, d’une création à l’autre, mon vivier s’est étoffé. Richard Lesage, lui, il est venu par annonce en 91. C’est un chanteur – auteur – compositeur - interprète qui avait envie de faire du théâtre, de jouer pour compléter ses jeux scéniques. Il est devenu le comédien emblématique de la Casina : j’ai exploité sa voix chaque fois que possible dans mes pièces. D’ailleurs, pour marquer le coup, j’ai donné son nom à la salle lors de son dernier passage en 2009.

 

Quand je lis une pièce, si je la visualise, je décide de la monter. Il faut que je la visualise très précisément _ et que je me régale, en passant_ autrement je laisse tomber. Après, le travail de l’acteur, c’est de rallier mon rêve. C’est pour ça, pour avoir le plus de cohérence possible entre le comédien et le personnage que je choisis les acteurs en fonction de la pièce. C’est le processus inverse des troupes non professionnelles. C’est mon choix, parce que je pense que la personnalité des individus, des comédiens, des comédiennes, participe de la mise en scène. D’ailleurs, s’ils ont des idées qui correspondent à la cohérence de la mise en scène, je les écoute… mais pas tout le temps.

 

En général, les acteurs se sont sentis bien dans les pièces que j’ai montées. Mais ça m’est arrivé de devoir me défaire d’un comédien, parce que ça n’allait pas. Puis, j’ai des comédiens qui m’ont lâché. L’une d’elle m’a lâché un quart d’heure avant de jouer, en pleine semaine. On a pu la remplacer le soir même jusqu’à la fin de semaine. Une expérience difficile. C’était sur « Le piège de Méduse » de Satie.

 

AU CASINO DE MARTIN

 

Pendant treize ans de création – douze pièces en tout dont une, Les poinçonneurs des Lilas, présentée  au Off d'Avignon en 2001 – j’ai arrêté de voyager, j’allais moins au ciné, moins au théâtre...

 

J’étais pratiquement seul à faire les décors, parfois les costumes, chercher des objets, chez Emmaüs, dans les bazars… les transformer, les détourner de leur sens pour en faire des accessoires de jeu, les imaginer autrement, les peindre, faire des collages… Il fallait s’occuper des affiches aussi, prendre contact avec des amis peintres, plasticiens ou dessinateurs, expliquer ce que j’attendais à peu près de la pièce, quels étaient les éléments de la mise en scène… Ils me faisaient l’affiche, après je la faisais imprimer… Monter une pièce c’est un boulot de dingue ! C’est pour ça que j’ai arrêté, en 2003, pour faire une pause : lire, écrire, sortir, me rapprocher de mes amis.

 

Le lieu, la salle Richard Lesage, a été créé en 2000. À partir de là, c’était déjà exploitable, mais jusqu’en 2003 on a joué à l’extérieur : au théâtre Jean Sénac (au Vieux Port), au Petit Merlan… Et puis après, plus rien pendant deux-trois ans. Vers 2005, j’ai commencé les saisons à la Casina avec des soirées régulières. Toutes sortes de gens sont intervenues. Moi aussi, j’ai fait des lectures et des performances.

 

Le public me suit depuis vingt ans. Mais il continue de s’élargir. À chaque lecture donnée  lors des soirées de la Casina, on accueille des personnes nouvelles. Les artistes, eux, me trouvent par des relations, des amis, qui me disent : « Tiens, j’ai un copain, une copine, qui joue de la guitare, qui chante, qui lit… » Ils se présentent à la Casina, je vois un peu ce qu’ils font et si c’est intéressant, si c’est bien, je les reçois. S’ils préparent un spectacle, ils l’essayent à la Casina avant de le représenter en salle. Ça arrive aussi.

 

Cette saison 2009-2010, on a donné à peu près une soirée par mois, donc une dizaine en tout. J’ai fait des lectures, dont une avec une comédienne : là, c’est moi qui dirigeait. Les autres soirées, il y a eu du jazz (un quartet), des performances musicales et autres. Je suis bon spectateur de pièces contemporaines, c’est juste que ça ne me branche pas trop de les monter. En tant que metteur en scène, le Boulevard ne me dit rien. La tragédie, le théâtre classique, non plus. J’ai pensé à un Othello, mais un Othello façon Jarry avec un travail d’écriture… pataphysique ou autre. Ça, oui.

 

 

LE CAISSON DU MARTIEN

 

Ce qui m’a amené vers le surréalisme ? En terminal ou en première, je ne sais plus, j’allais écouter une conférence d’un prof de fac à Strasbourg sur « Breton et l’amour fou » et ça m’a passionné : j’ai commencé à écrire et à lire des textes surréalistes… C’était en moi déjà. C’est mon univers depuis toujours, ça l’est encore. En ce moment je lis Breton, Aragon, ses essais sur l’art moderne, et souvent je lis des textes de Desnos, de Picabia. Je ne pense pas que ça ait modelé ma vie mais ça a modelé mon écriture. J’ai découvert Satie. J’ai lu tout Satie, j’adore ce qu’il écrit, j’adore sa musique. Je suis tombé sur Le piège de Méduse, un bijou dada, la seule pièce qu’il ait écrite. Donc je l’ai montée avec un ami pianiste.

 

Le surréalisme, c’est quelque chose qui est en soi, qui est quotidien. Ça ne peut pas être occasionnel : c’est un comportement, c’est une éthique de vie, c’est une façon d’écrire ou de créer, de détourner les objets, les mots de leur sens, et de partager ce plaisir.

 

Je le fais quotidiennement, en dehors du théâtre, au boulot, dans les magasins : une p’tite remarque, une p’tite réflexion. Ça étonne souvent les gens. Ça vient comme ça, c’est spontané, après j’oublie… Je ne sais pas… : Un jour, je vais chez ma boulangère, et puis il pleut. Elle me fait une p’tite réflexion sur la pluie et je lui dit «  Oui, c’est pas pratique la pluie ». Elle est restée… (Martin se marre bien)… muette. Ces rencontres avec des individus ou avec des évènements qui sont exceptionnels et extraordinaires, ou qui le deviennent,

ça fait partie du surréalisme. C’est ce que Breton appelle « le hasard objectif : c’est la rencontre d’une causalité externe avec une finalité interne ».

 

J’ai beaucoup de ces manifestations du hasard objectif, de ces rencontres, ces choses qui se passent et qui me dépassent. Je suis avide d’évènements, c’est pour ça que dans le bus ou dans le tram je ne conçois pas d’écouter de la musique ou de lire un bouquin : je  regarde les gens, je les écoute, je me régale ; j’ai des évasions mentales, je m’échappe. …. Je projette beaucoup de choses dans mon imagination et mon imagination me les rend. Je rêve tout le temps... Depuis tout petit aussi, j’ai toujours eu des fous rires, des fous rires de décompression : si mon plexus est dur ou se crispe, je ris, ça le détend et puis après je suis bien. Ça vient comme ça, c’est imprévisible, c’est incontrôlable. J’en ai au boulot aussi. Je pense à un truc en particulier comme si c’était quelqu’un d’autre qui le pensait et qui me le disait. C’est drôle et je ris. Non pas que je trouve la vie absurde, mais, comme Breton, c’est le fait de détourner le sens des choses qui…   

 

 

(Un chaleureux merci à Patricia Rouillard pour sa patience et son talent !)

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